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7 septembre 2009 1 07 /09 /septembre /2009 22:41
Dresseur de faucon sous le coucher de soleil dans le désertPetite (enfin petite on verra) histoire annexe à la revanche des anges que j'ai dû retirer. Mais les personnages de Maryline Bessarion, descendante des Basarab-Draculescu (famille de Vlad Dracul - Dracula), pianiste et exorciste, et d'Ikku Jadou, descendante de Kahina, reine berbère de l'Atlas, me sont tellement attachants que je ne pouvais pas les laisser tomber dans l'oubli. Alors elles ont eu le droit à un récit pour elles seules. C'est pour ma petite Maryline N., qui a vu naitre cette histoire en cours de chromato et qui l'a largement inspirée, que je l'ai reprise.

En quelques mots:
rejetée du clan paternel, Maryline Bessarion, pianiste prodige, se lance à la recherche des mythiques guerriers de Kahina, réputés pour leur entraînement qui pourrait faire d'elle une exorciste digne de ses ancêtres. Mais les sujets de la reine du désert se révèlent être une communauté de sorciers, considérés comme des ennemis à abattre par la caste des exorcistes au même titre que les démons. Quand elle rencontre Ikku, héritière du clan de Kahina, Maryline est partagée entre les rancoeurs distillées par son éducation exorciste et la curiosité que suscite la sorcière maladroite.

Chapitre 1 : L’hymne des sables

 

         Les grains de sable qui volettent dans le vent ne font pas de bruit aux oreilles de ceux qui ne savent pas écouter. Mais leurs mouvements légers et incertains, bruissent de mille sons, chuchotements, crissements, effleurements. Quand le vent se lève sur les dunes, ils sont des millions, des milliards à faire entendre leur voix. Le désert chante.

         Maryline Bessarion a apprit à écouter la symphonie des monts de sable. Elle, la musicienne venue des montagnes glacées de Transylvanie, était restée sourde à la mélodie, les yeux emplis de la beauté du paysage, muette d’admiration mais les oreilles obstinément closes à la voix secrète. Jusqu’à ce que son sens se réveille et qu’elle découvre la beauté simple et pure de sa propre musique. Tout cela grâce à une seule personne. Unique et irremplaçable.

Mais aujourd’hui tout cela prenait fin. Il était temps de faire ses adieux.

 

         Le vieux 4x4 cahotait sur les pierres arides de l’erg, rendant le voyage pénible. Les pauvres bandes de verdures cultivées défraîchies par le soleil avaient depuis longtemps disparu au profit d’un sol argileux et sec et des reliefs calcaires érodés par le vent. Hormis deux, trois fennecs faméliques pas même effarouchés se reposant à l’ombre de rochers pourris, on n’avait pas croisé âme qui vive. Il n’y avait rien. Et au-delà de l’horizon recuit par l’astre du jour qu’il en semblait se fondre dans le ciel blanc, il y avait encore moins que rien. L’océan de sable. Le désert le plus vaste et le plus chaud du globe. Le domaine des Touaregs, les hommes bleus, les seuls à pouvoir se faire accepter de l’impitoyable et à y survivre.

         Le 4x4 ralentit, s’arrêta à l’ombre d’une falaise blanche rayonnant de chaleur.

         _  Pourquoi s’arrêter ici ? Le désert est encore loin.

         _  Ici s’arrête le domaine des hommes des villes. Au-delà commence le royaume du dévoreur d’âmes et plus loin encore vivent les nomades. Nous ne dépassons jamais la frontière du Lion Vigilant.

         _  Mais je veux aller dans le désert. Vous aviez promis de m’y emmener.

         _  Dépasser cette limite, c’est courir la mort à chaque pas. Admirez le paysage. Les touristes de tous les pays viennent ici.

         _  Ai-je l’air d’une touriste ? Je ne suis pas venue photographier des pierres !

         Le chauffeur la considéra d’un œil suspicieux. Ce n’était qu’une gamine du Nord qui devait à peine être entrée dans l’adolescence. Que venait-elle faire dans le désert ? Il allait la faire descendre, qu’elle prenne quelques photos, puis il la ramènerait à Bab-El Amaha, leur point de départ.

         Elle rassembla ses maigres affaires dans son sac de voyage usé, y accrocha ses deux gourdes isothermes cabossées et descendit. Son sac sur l’épaule, elle avança résolument vers le Sud.

         _  Que faites-vous, inconsciente ?

         _  Vous n’avez pas tenu votre promesse. Il faut bien que je me débrouille par moi-même.

         Sans se retourner, elle franchit la ligne indistincte de sable et de roche qui formait comme un no man’s land entre les franges effilochées du monde des hommes et le désert.

         Le chauffeur la regarda s’éloigner, vaguement empreint d’un sentiment de culpabilité, puis haussa les épaules d’un air défaitiste, remit le contact, enclencha la marche arrière et lança son vieux 4x4 sur la piste du retour. Après tout ce n’était pas ses oignons, si elle voulait mourir, libre à elle. Et on dénombrait suffisamment de disparitions de touristes insensés qui bravaient les recommandations des guides pour qu’on ne l’embête pas trop au sujet de cette gamine.

         Bientôt le nuage de poussière de la voiture ne fut plus visible. Et pour la jeune fille demeurée seule, plus aucun espoir de retour en arrière. Il fallait avancer.

         La température avoisinait les 60°C, voire plus. La jeune fille n’avait pas pensé qu’il serait si difficile de progresser sous cette chaleur, malgré les protections, malgré son entraînement. Au bout de deux heures de marche, le soleil au plus haut dans le ciel tapait comme un sauvage sur sa tête et son dos. Ses tempes bourdonnaient, son sang bouillait dans ses veines. La sueur coulait à peine en sillons discontinus sur son visage poussiéreux.

         Avance ! Avance ! On le lui avait assez seriné. Elle était forte. C’était pour se le prouver qu’elle avait parcouru tout ce chemin. Après la tournée des grandes cités, Prague, Varsovie, Moscou, Paris, au revoir Maryline Bessarion la pianiste et sa notoriété. La jeune virtuose prodige de 16 ans avait déclaré à la presse, via son agent, vouloir prendre du repos et s’éloigner quelques temps des feux de la scène. Trop de pression pour la gosse, avaient immédiatement titré les tabloïds. En fait, l’attaché de presse avait juste trouvé un mot de sa protégée expliquant qu’elle rompait son contrat et qu’il était inutile de vouloir la retrouver. Une heure après le communiqué officiel, le pauvre homme était admis dans une clinique spécialisée pour prendre du repos. Ainsi était Maryline Bessarion : sans demi-mesure.

         Comment en était-elle arrivée là ?

         Tu es une fille et je t’ai acceptée malgré tout. Mais si tu ne peux suivre l’entraînement, ne traînes pas dans nos pattes. Retourne à la musique et ne remets plus les pieds ici.

         Je peux le faire !

         Etait-ce pour cela qu’elle divaguait dans le désert depuis des heures ? Pour montrer qu’elle aussi, bien qu’elle soit une fille, pouvait survivre dans les pires conditions.

         Le soleil monta au zénith puis replongea vers l’ouest. Les gourdes se vidèrent et girent bientôt sur le sable brûlant dans les traces de pas. Au crépuscule, elle avait oublié jusqu’à son nom mais l’ordre immuable tournait encore dans sa tête en feu. Avance ! Avance !

         Si tu n’es pas capable de suivre le rythme, tu dois partir, abandonner !

         Jamais ! Elle n’avait jamais abandonné dans tout ce qu’elle avait entrepris. Si elle avait dû jeter l’éponge aux premières fausses notes d’un Chopin ou d’un Mozart, on ne l’aurait pas admise au Conservatoire de Bucarest.

         Et elle avançait mécaniquement vers le sud.

         Au sud, tu trouveras la tribu de Kahina, la reine des berbères de tout l’Atlas. La puissance de ses guerriers est légendaire, tout autant que leur endurance. Si tu parviens à te faire accepter d’eux, ils t’enseigneront leur art.

         Peut-être n’était-ce qu’un leurre, un mensonge pour la perdre. Kahina était un mythe vieux de plusieurs siècles. Qui pouvait prêter foi aux racontars de bonne femme qui prétendaient qu’une reine nomade commandait à toutes les tribus des montagnes du fin fond de son désert inaccessible ? Elle y avait cru. Elle avait espéré trouver réponse aux questions de son existence.

         Elle s’affala dans la pente d’une dune, à genoux. Ses yeux asséchés ne pouvaient pleurer. Le soleil rougit le sable d’une couleur intense de rubis et de sang avant de disparaître, avalé par le désert vorace. A l’ouest, le ciel conservait une teinte orangée. A l’est, la nuit vint rapidement et silencieusement recouvrir l’étendue désolée. La chaleur emmagasinée par le sable résorba, montant à la rencontre de l’air refroidit descendant. Une légère brise s’éleva, balayant les dunes comme une caresse. Le désert entama son chant par une mélopée inaudible des mortels.

         Et quand bien même la jeune fille l’eut entendue, elle fut subitement interrompue par un cri de désespoir. Un appel au secours. Le chant se tut, comme si chaque grain de sable formant l’immensité consciente du désert tournait son attention vers cet unique cri. Ramenée à la réalité, Maryline se fit honte de son semi-abandon. Elle se releva tant bien que mal, trébucha dans la pente à deux reprises, puis, d’une impulsion sur ses jambes mal assurées, elle s’élança en courant dans la direction du cri.

         Au sommet d’une dune, elle surplomba une grotte ouverte dans un affleurement de roche désensablé. Devant la tanière, une créature serpent jusqu’à la poitrine et femme au-delà menaçait une jeune fille tout en longueur blessée à la jambe, incapable de s’enfuir. Les grosses écailles écarlates crissaient en frottant les unes contre les autres tandis que la créature progressait en sinuant telle une vipère des sables.

         Un Nagâ, les démons serpent dont les cousins sylvains de Transylvanie avaient inspiré jusqu’à la légende de Mélusine. Une créature dangereuse car dotée d’attaques offensives fulgurantes et dont les armes de prédilection sont les pinces qui lui servent de bras et des crocs venimeux. Crocs qu’elle pointait en ce moment même vers sa proie en sifflant.

         Le sang de Maryline ne fit qu’un tour. Avec une énergie nouvelle, elle arma sa dague en argent qui ne la quittait jamais et la lança proprement dans la poitrine du monstre.

         Décontenancé, le Nagâ s’arrêta pour considérer la lame qui dépassait de son thorax et la lanceuse. Il se débarrassa de l’écharde avec une de ses pinces coupantes et malhabiles et se rua, crachant furieusement, sur Maryline, qui l’esquiva d’un bond maladroit. Elle se rattrapa tant bien que mal sur l’épaule gauche, se releva. Le Nagâ chargea. Maryline ne comprenait pas pourquoi la dague n’avait eu aucun effet. Elle essayait de garder les idées claires, malgré sa tête qui tournait, le brouillard devant ses yeux qui l’aveuglait. Une pince frôla son visage, ce qui lui redonna une certaine vigueur. Elle sortit sa seconde dague pour retenter son coup, mais la lame lui fut arrachée des mains et voltigea pour aller se planter dans le sable vingt mètres plus loin. Maryline regarda son dernier espoir s’envoler. Elle esquiva les coups qui pleuvaient sur elle, sentant les forces la quitter à nouveau. Elle devait tenir l’adversaire à l’œil, ne pas lui tourner le dos et s’enfuir bêtement ou elle se retrouverait avec des crocs dans le corps avant même de s’en rendre compte. Il fallait absolument qu’elle récupère ses couteaux. Mais les attaques l’éloignaient toujours plus de sa cible. Un éclair fugitif attira l’attention de la jeune fille : une pierre noire comme un gros caillot de sang coagulé, entre les yeux de la créature.

         Maryline se souvint d’un jour d’enfance où elle avait hurlé au secours dans la forêt jusqu’à ce que son frère survienne et transperce le sceau d’énergie d’un Nagâ de sa dague.

         Les monstres de niveaux inférieurs n’ont pas véritablement la force de se matérialiser dans notre monde. L’énergie qui leur est nécessaire est scellée. Ce qui les rend quasi invulnérable puisqu’il s’agit plus d’une projection que d’une présence physique réelle. Pour vous débarrasser d’un Nagâ sylvain, il faut briser son sceau.

         C’était ça ! Voilà pourquoi l’argent n’avait pas provoqué les morsures habituelles. Les attaques physiques étaient inefficaces. Mais comment briser la pierre sans argent. Maryline recula d’un bond vif mais trébucha sur une pierre, tomba à la renverse, acculée à la grotte. Le Nagâ eut un sourire qui révéla ses crochets luisants en levant le bras pour la tuer.   

         _  Maintenant tu ne bougeras plus, siffla-t-il de sa voix poussiéreuse.

         Merde, ça parle en plus ! Il faudrait soulever la question au prochain congrès de Bucarest. Ca l’énervait de se faire des réflexions connes dans des moments pareils. Elle perdit même du temps à s’en maudire.

         _  Attention !

         En général, l’injonction « attention ! » prévient, met en garde contre un danger éventuel que l’on n’a pas repéré. Etant donné que Maryline avait le danger mortel sous les yeux, on pouvait se demander si l’inconnue qui avait crié avait réagi stupidement au stimulus qu’est la peur ou pour une toute autre raison plus fondée. C’est peut-être parce qu’elle avait opté pour la deuxième solution que Maryline détala à quatre pattes sans demander son reste, loin du Nagâ. Bien lui en prit. En quelques secondes d’explosion, de jets de blocs et de nuage de poussière, la grotte ne fut plus qu’un maelström de roche informe sur lequel gisait un Nagâ blessé. Blessé mais pas mort. Pas encore.

         Maryline cavala vers le manche de sa dague abandonnée par le monstre. Elle la lança sur la créature qui se débattait dans les gravats. Le couteau siffla à trente centimètres de la cible.

         _  Vous l’avez raté ! s’écria la jeune fille blessée.

         Elle haletait, suait, tremblait, dans un état d’hystérie. Bref, elle présentait tous les signes cumulés de la panique et de l’épuisement.

         _  Pas la peine de crier, ça arrive à tout le monde !

         _  Mais tout à l’heure, vous l’avez eu en plein cœur.

         Maryline grimaça un sourire ambigu, entre ironie et excuse.

         _  Un coup de chance. Je n’ai pas mes lunettes.

         Le Nagâ se releva en tortillant sa queue serpente.

         _  Pas de temps à perdre. Il me faut un objet en argent.

         En réponse, elle reçut une chaîne et un pendentif. Impossible à lancer. Le monstre fonça sur elles. Maryline tenta le tout pour le tout. Elle enroula la chaîne autour de sa main pour ne pas la perdre et courut à la rencontre du Nagâ. Avec l’énergie du désespoir, elle dévia de la trajectoire des pinces, prit appui sur l’une d’elles qui se ficha dans le sol et plaqua sauvagement le pendentif sur le front de la créature. Le sceau noir se brisa en libérant l’énergie qui y était contenue. La déflagration envoya bouler Maryline cul par-dessus tête.

         _  Oh la la ! Ma tête !

Sa main dans ses cheveux rencontra une flaque poisseuse. Elle tâta précautionneusement la plaie sur son crâne. C’était superficiel, une estafilade causée par une pierre aiguisée : plus impressionnant que grave.

Maryline regarda autour d’elle le champ de ruines. Le désert s’était transformé en cratère de déflagration. Les particules microscopiques de sable retombaient en tournoyant comme dans une boule de neige qu’une main de géant aurait secouée. La jeune fille était toujours là, assise dans le sable, un peu sonnée mais vivante.

Maryline s’approcha d’elle, ses jambes la portant à peine.

_  Ca va ?

Elle hocha la tête bien qu’elle serrât sa cheville en grimaçant.

Merci d’être venue à mon secours.

_  Vous avez de la chance. Le coin n’est pas spécialement fréquenté.

_  Merci. Mais que faisiez-vous si loin de la frontière ?

Maryline épousseta sa veste, chose bien inutile dans ce monde de poussière.

_  Je pourrais vous retourner la question. Disons que je me promenais, ajouta-t-elle après un temps de réflexion. Je m’appelle Maryline Bessarion.

_  Ikku Jadou, répondit la jeune fille en serrant la main tendue de Maryline. J’aime beaucoup ce que vous faites.

_  « Ce que je faisais » serait plus juste.

_  Vous avez changé d’orientation, dirait-on, remarqua Ikku en faisant référence au Nagâ. J’ignorais que…

_  Un retour aux sources, sans doute, coupa l’ancienne pianiste. Tenez, se souvint-elle, et merci.

Elle lui rendit le pendentif dont la chaîne était toujours accrochée fermement autour de sa main. Ikku le récupéra, en un bien piteux état. Elle laissa échapper un cri entre effarement et mécontentement.

_  Qu’est-ce que vous en avez fait ?!

Maryline recula de deux pas et s’excusa, un sourire navré aux lèvres.

_  Désolée. Il était vraiment puissant. Je ne pouvais pas deviner que ça l’abîmerait à ce point. Toutes mes excuses.

_  Vous auriez pu savoir ce qui se passerait quand même !

_  Eh ! se récria Maryline. Je vous ai sauvé la vie !

_  Ce n’est pas le prob…

Effet de la blessure ou du stress, Ikku s’évanouit. Maryline ne s’en étonna pas : elle était maigre et semblait de faible constitution. Tout en ramassant ses dagues d’argent qui s’étaient révélées inutiles (mais pourquoi n’arrivait-elle jamais à viser dans des situations critiques ?), la jeune fille repensa posément à la bataille. Le Nagâ qu’elle venait de détruire était d’une puissance exceptionnelle. Certes, dans son état, n’importe qui aurait pu venir à bout d’elle. Mais les Nagâ n’étaient pas censés poser le moindre problème. Dans la classification des créatures maléfiques, ils ne dépassaient pas le premier niveau, à peine au-dessus des spectres et juste en dessous des goules. Un Nagâ, en résumé, ça impressionnait par la dimension de ses pinces mais c’était lent à en mourir, maladroit et bête. Rien d’une menace, en somme, tout juste bon à dépecer les humains qui ne courent pas assez vite.

Est-ce que cette espèce est différente ? Hormis la couleur, il semblait pareil en tout point à ceux de Transylvanie.

Non, il y avait décidément autre chose. Un pouvoir que la créature n’aurait pas dû posséder. Le simple fait qu’elle ait parlé était anormal. Les Nagâs ne parlaient pas, ils étaient bien trop sous évolués pour ça ! 

Tout en réfléchissant au combat avec le monstre, Maryline en vint à soulever l’explosion au moment critique où elle avait failli finir empalée comme une brochette. Il n’y avait là aussi aucune raison pour qu’une grotte plusieurs fois millénaire explose sur un coup de tête. La seule responsable, c’était Ikku. Ce qui impliquait qu’elle était du sang des sorciers. Une sorcière incapable de se débarrasser d’un monstre de premier niveau mais de retourner le désert ? Maryline commençait à douter de pouvoir trouver quelque chose de normal dans ce foutu trou perdu.

La jeune fille à la peau de miel était toujours dans les vapes. Maryline hésita longuement. L’aider aurait signifié un affront aux règles ancestrales de sa famille. Mais son honneur lui interdisait d’abandonner un être humain sans défense à un sort aussi peu enviable que mourir lentement dans la fournaise de l’Océan de Sable, fût-il de la race de Satan. Elle balança deux minutes entre l’idée qu’un autre qu’elle aurait planté sa dague dans la gorge exposée de la sorcière évanouie et celle qu’elles mourraient de froid si elle ne trouvait pas un abri rapidement.

Maryline décida qu’elle réfléchirait à la question tout en creusant un trou dans le sable. Ce serait déjà du temps gagné sur le choix à faire puisque, dans tous les cas, elle devrait se protéger du froid. Quand le trou fut fini, elle y tira Ikku sans trop de ménagement et l’ensevelit jusqu’à mi-corps, puis se terra à son tour dans la chaleur relative de leur abri de fortune, guettant les bruits d’une éventuelle menace. Dieu seul savait combien de saloperies rôdaient alentour.

En fait, plutôt que de lutter contre le sommeil en se demandant ce qu’elles allaient devenir, elles auraient dû profiter de la nuit pour avancer vers le nord, vers la civilisation. Mais avec sa cheville blessée, Ikku ne pourrait aller nulle part sans soins. En gros, elles étaient coincées, à moins que la jeune berbère ne fût capable de se soigner par ses propres moyens.

Etait-elle de la tribu de Kahina ? Une tribu de sorciers ?

J’irai pas loin s'ils sont tous comme elle.

Ikku remua dans son sommeil, gémit et se réveilla. Ses yeux embrumés accommodèrent difficilement dans l’encre nocturne. Quand elle eut assimilé sa situation, elle se tourna vers Maryline.

_  Merci, dit-elle simplement.

Maryline hocha la tête. Elle n’avait plus vraiment envie de parler, ni même de savoir. La fatigue était retombée d’un coup comme une masse sur son crâne. Elle avait la langue pâteuse d’avoir sucé des cailloux l’heure d’avant pour calmer sa soif et la somnolence la taraudait terriblement. Mais Ikku s’expliqua sans qu’aucune question ne lui soit aussi posée.

_  J’étais à la recherche du Gardien du Désert, le dernier Lion de l’Atlas.

Le dernier Lion de l’Atlas ? Cette légende selon laquelle le dernier spécimen géant de l’Atlas avait été transformé en rocher pour veiller sur le désert et qui avait donné son nom à la fameuse falaise du Lion Vigilant. Ladite falaise qu’elle avait vue le matin même ?

_  Ca fait partie de mon apprentissage. Le vieux sage m’avait dit que je le trouverais au nord, près des terres habitées. Quand je suis arrivée ici, tout indiquait que c’était le bon endroit. Je priais pour que le Gardien apparaisse, quand Ysserb m’est tombé dessus.

_  Ysserb ?

_  C’est le nom du Nagâ. Il était connu dans la région pour sa cruauté. Il m’a blessé à la cheville pendant mon invocation. Je l’ai repoussé avec des sorts mineurs mais je suis trop faible. Trop faible !

Elle assena un point rageur sur le sable.

_  En plus, j’ai fait sauter le sanctuaire du Gardien. J’suis nulle !

Elle éclata en sanglots.

Maryline sentait ses cheveux se hérisser sur sa nuque chaque fois que Ikku faisait référence à des pratiques magiques. Ce n’était pas de sa faute si elle avait été élevée dans la haine des pratiques démoniaques. Alors se retrouver à discuter de sortilèges avec une sorcière à qui elle venait de sauver la vie, c’était trop ! Elle était exorciste. Les monstres, les démons, tout ce qui représentait une menace pour l’humanité, elle l’exterminait. Et les sorciers n’échappaient pas à la règle. Ils étaient de la même engeance. Du même sang du diable. C’est ce que lui avait enseigné son père. Un enseignement qui s’écroulait sur ses bases à présent que Maryline avait, de ses propres yeux, vu une sorcière aux prises avec un monstre, deux créatures qui étaient censés être alliés.

Peut-être devrais-je revoir mon jugement.

_  Au moins vous êtes en vie, la consola-t-elle.

_  Uniquement grâce à vous.

_ Ne vous emballez pas. Sans vous, je serais en train de servir de repas aux charognards.

Avant qu’Ikku n’enchaîne sur une nouvelle question, Maryline décida qu’il était temps de passer aux choses sérieuses.

_  Votre cheville est cassée. Vous pouvez vous soigner ? Nous devons avancer.

La berbère repoussa une mèche de cheveux bouclés qui lui tombait dans les yeux. Elle tenta un sourire innocent.

_  J’suis pas trop fan de biologie.

Maryline soupira. Elle avait sa réponse : tant qu’elle ne serait pas reposée, elle ne repartirait pas. En écoutant Ikku, l’exorciste avait déduit qu’il s’agissait d’une nomade. Peut-être donc bien de la tribu de Kahina.

_  Et de l’eau, vous pourriez nous en trouver.

_  Oh ça oui ! C’est la première chose qu’on apprend dans le désert.

Elle tendit la main et fit sourdre une jolie petite fontaine d’eau fraîche.

_  Et voi…

Ikku s’évanouit derechef.

Mais sur quoi suis-je tombée ? se lamenta Maryline en recueillant le précieux liquide entre ses mains. Tant qu’il y aura de l’eau, on n’aura pas de problème. Mais il faudra bien se nourrir. Et puis je ne vais pas me la trimballer sur le dos comme un chameau jusqu’à perpète.

Elle admirait le ciel tout en réfléchissant, oublieuse de la fatigue.

Les étoiles sont vraiment magnifiques dans le désert. Plus encore que dans les montagnes. Il n’y a rien, aucun bruit, aucun animal, aucun humain.

Malgré les malheurs qui semblaient s’être acharnés sur elle depuis le matin, Maryline avait finalement réalisé son rêve. Le désert, la solitude, si l’on faisait exception de la fille qui respirait doucement la tête penchée sur son épaule.

Le silence. Enfin…

Peut-être n’y avait-il pas derrière cette fuite qu’une simple envie de prouver à son père qu’elle valait autant que ses frères. Peut-être bien qu’elle avait perdu le goût de la musique.

Le silence… rompu par une minuscule avalanche de sable. Aux aguets, Maryline fit volte face, emprisonnée par le sable, incapable de bouger plus que ce qu’elle n’avait déjà. S’attendant à voir un autre Nagâ s’abattre sur elle, elle avait dégainé sa dague d’argent pour se défendre. Aussi fut-elle décontenancée de tomber nez à nez avec un drôle d’oiseau géant à l’épais plumage blanc et noir.

_  Un pingouin ?

La bestiole s’ébroua et enfonça son bec dans la tache blanche de son ventre.

_ Manchot s’il vous plait. Empereur pour être exact. Nom latin : Aptendytes forsteri. Mon nom est Dolby, Eclaireur de l’Océan de Sable, pour vous servir. Mademoiselle… ?

_  Maryline Bessarion, balbutia la jeune fille décontenancée.

_ Charmé de vous rencontrer. Hum! comptez-vous pointer cette chose sur moi longtemps ? Non que je craigne l’argent mais je guéris assez mal des blessures au ventre.

Maryline rangea, un peu à contrecoeur, sa dague. Elle ignorait encore si elle devait faire confiance à un pingouin parlant qui se présentait comme l’Eclaireur du désert.

_  Manchot, siffla l’animal dans son long bec. S’il vous plaît, je ne vous traite pas de vampire.

_  Euh… C’est que la différence n’est pas probante et on fait souvent l’erreur me semble-t-il.

Je suis folle ? Je me tape la discute avec un manchot télépathe dans le désert !

 _  La différence entre un humain et un vampire n’est pas plus apparente à mes yeux mais je ne me trompe pas. Pardonnez-moi, je ne vous en tiens pas rigueur. Bien, si on y allait tant qu’il fait frais.

_  Une minute ! Je veux bien que vous soyez un manchot, monsieur Dolby. Mais… vous faites quoi, ici ?

_  Je pourrais vous retourner la question. Après tout, vous êtes la seule ici à ne pas être du coin. Je suis l’Eclaireur du désert. Je me charge de guider les voyageurs perdus.

Là c’est sûr, je rêve.

De son long bec effilé, Dolby la pinça légèrement au bras. Maryline émit un petit cri de surprise plus que de douleur.

_  Là ! Vous ne rêvez pas.

_  Mais les manchots sont censés vivre sur la banquise ! se récria la jeune fille. Ils ne parlent pas et ne lisent pas dans les esprits.

Dans son agitation, elle réveilla Ikku qui, somnolente, demanda qu’on la laisse dormir « un tout petit peu plus ».

Le manchot émit un sifflement modulé qui aurait pu passer pour un rire.

_  Oui, oui. La plupart d’entre nous ont préféré demeurer sur la terre qui nous a vu naître bien avant que les haute et basse sphères ne dérivent l’une de l’autre et ne transforment l’Antarctique en désert de glace. Mais d’autres, comme mes ancêtres, sont partis à l’aventure vers des jardins encore fleurissants. Et même quand la plaine est devenue le stérile océan de sable, nous sommes restés, lassés d’errer vers de nouveaux horizons. Et puis, ici, personne ne nous voit, nous n’éveillons pas la curiosité. Les humains ont depuis longtemps oublié les colonies de manchots des sables, hormis les nomades de Kahina.

Maryline avait déconnecté à l’histoire de la dérive entre les haute et basse sphères, chose dont elle n’avait jamais entendu parlée. Le nom de Kahina la ramena sur terre.

_  Kahina ? Vous les connaissez ?

_  Bien sûr. Ce sont les maîtres humains de ces terres qui nous entourent. Nous partageons notre territoire avec eux depuis des siècles. La jeune fille qui se tient à vos côtés doit être la petite Ikku.

Petite était un terme mal adapté. Ikku mesurait au bas mot son mètre quatre-vingts.

_  C’est elle, effectivement.

_  Pauvre enfant, elle cherche Ksahar mais il est parti faire un tour à l’est. Je lui avais pourtant dit de ne pas s’absenter si près du jour de l’initiation.

Il s’avéra inutile de vouloir réveiller Ikku. Dolby expliqua que le potentiel magique jouait beaucoup sur la capacité à se servir d’un pouvoir. Visiblement, la jeune berbère avait surestimé ses limites. Le manchot tira d’on ne sait où une espèce de traîneau de bois à patins (en cas d’urgence, précisa-t-il) sur lequel Maryline hissa Ikku.

_  Il nous faut trouver Ksahar avant le lever du jour ou vous aurez vite fait de cuire.

Maryline regarda l’étrange animal trottiner, entraînant la remorque derrière lui. Elle n’arrivait toujours pas à se faire à l’idée qu’une telle créature puisse vivre dans le désert. Elle le suivit avec curiosité en grignotant la ration de survie qu’il avait prise dans le traîneau à son attention. Elle fut impressionnée par l’extrême habileté dont il faisait preuve quand elle-même s’écrasait lourdement dans les dunes molles. Parfois, il coupait au plus court en glissant sur le ventre à bas des monticules. Pas une fois, le traîneau ne fit mine de chavirer.

Ils s’enfoncèrent dans la  nuit étoilée vers le levant. Derrière eux, la mélopée du désert reprit son rythme millénaire.

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